Quand je demande à mes étudiants ce qu’ils connaissent de Mai 68, ils me disent qu’ils savent juste que c’était un mouvement étudiant important pour la transformation des mœurs. Rares sont ceux qui savent qu’il s’agit aussi d’un immense mouvement social, et quasiment personne ne sait qu’il s’agit de la plus grande grève des pays industrialisés.
C’est la deuxième chose qui me frappe : cette bonne image de Mai 68. Les gens interrogés ne supporteraient sans doute pas un dixième de ce que Mai 68 a été, c’est-à-dire une séquence insurrectionnelle de grande ampleur avec des illégalismes de masse, impliquant des confrontations très violentes avec la police, des séquestrations de patrons, des occupations illégales d’universités, d’usines, de théâtres, etc. Ce point-là est ce qui me semble avoir été le plus clairement oublié dans la mémoire de 68.
On voit bien là cette tendance à raturer l’importance de la violence dans l’histoire. Au fond, ce qu’on retient de 68 c’est ce miracle d’un événement décisif pour notre histoire, mais sans violence – ce qui est totalement faux, comme est fausse l’idée répandue qu’il n’y a pas eu de mort en 68 : il y en eut sept exactement. L’allergie au slogan « CRS SS » est particulièrement significative.